Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/122

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Il pensait remplir ainsi un devoir d’ange gardien, protecteur du foyer, mais il s’y donna trop de plaisir. Jeanne se pâmait. Le succès excita le Parisien, qui fut brillant d’esprit. Le petit baron rivalisait et trouvait d’inénarrables platitudes. Il discuta peinture : Delaroche avait de la couleur et dessinait peu ; mais, en revanche, quelle extraordinaire perfection dans la ligne de Raphaël, et quel dommage qu’il eût une palette si terne ! Il préférait David : il lui compara M. Moulin, professeur au lycée, un incomparable talent : « Il a des embus si délicats !… On voit la toile à travers la couleur, monsieur ! » Georges approuvait. Le gentilhomme cita des vers de l’abbé Delille, en regardant la comtesse. Il terminait ses admirations par un : « Il n’y a pas à dire ! » Il demanda à Desreynes s’il était, en calembour, de l’école intentionniste. Il parla de ses travaux et de ses études ; il venait de découvrir une singulière coïncidence : un voyageur français, au xviiie siècle, introduisit à Bourbon la culture des arbres à épices : il se nommait Poivre !

Le baron voyait là un exemple de la prédestination de certains hommes. Puis il conta des anecdotes et fit des mots. Le rire qu’il excitait le grisa à son tour : il passa une délicieuse journée. Une inquiétude le tracassait pourtant, et Georges lui parut un rival dangereux. Un instant qu’il put être seul auprès de Jeanne, il l’appela : « Cruelle ! » et lui saisit la main. Elle se dégagea sans colère, vivement. Georges avait vu, mais la figure de la jeune femme, pourpre d’un