Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/132

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Vous savez des misères que tout le monde ignore. Et puis, le plus grand charme des secrets, c’est de les dire.

Au fond, Jeanne redoutait peu la trahison de Georges, mais elle feignait d’y croire. Elle n’ignorait pas combien le jeune homme hésiterait à instruire Arsemar d’une telle curiosité, et au lieu de crainte, elle ne trouvait là que le plaisir d’un hypothétique péril, et la joie d’avoir introduit dans leur liaison un sujet nouveau de complicité. Elle avait, d’ailleurs, parlé sans préméditation, dans l’entraînement d’une invention subite, par bravade, mais elle se loua de cette forfanterie comme d’une combinaison machiavélique. Elle ne réfléchit pas qu’une semblable révélation pouvait secouer Desreynes dans sa quiétude, et arrêter une conquête qu’elle jugeait si bien commencée.

Georges garda de cet aveu une contrainte douloureuse ; il sentait un obscur danger ; mais il redoutait de revenir aux soucis déjà anciens, à la méfiance des premiers jours, et de renoncer au calme dans lequel il s’abandonnait. Il éprouva la lassitude d’un homme qui, à la nuit tombante, s’aperçoit qu’il s’est trompé de route et se désole de rebrousser sur tous ses pas. Il avait fait avec amour cette route progressive dans la paix, et l’idée de la quitter le rendait lâche. La confidence de Jeanne l’occupa jusqu’au soir, et jusqu’au soir il fit effort pour l’oublier. Expérimenté par ses premières terreurs si vaines et si folles, il jugea que le mal, en somme, n’était pas grand, et que cette femme