Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/141

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petite comtesse aux soucis de toilette, et sortirent.

— Tu ne sais pas, dit Pierre… mais tu me promettras le secret ? Je prépare sournoisement notre retour à Paris ; je laisse à Berthaud la direction des affaires : c’est un garçon sérieux et entendu… Elle va être si heureuse ! Ne lui raconte rien ; je suis égoïste, moi, et je veux me réserver la joie de porter les bonnes nouvelles.

Les premiers lilas fleurissaient ; Pierre et Georges marchèrent longtemps.

Ils s’arrêtèrent au bord des brandes, parmi l’avalanche des roches qui se poussent vers le fleuve, sinueux et fou dans cet endroit. Tous deux aimaient ce coin sauvage, noir, peuplé de ronces et de genêts, et qu’assourdit la rauque brusquerie des eaux.

— Voilà que je préfère à notre bal, mon Georges.

Étendus sur un pan de mousses, ils se perdaient en de vagues causeries sans suite, regardant tour à tour le ciel bleu et la rivière blanche. Subitement, Pierre se dressa, sauta sur Georges, le saisit aux épaules, l’enleva de terre et plaqua sur le sol un violent coup de talon : à la place où Desreynes s’était couché, une vipère, les reins écrasés, les dents accrochées à la guêtre de Pierre, se tordait. Arsemar prit la bête par la queue et lui brisa la tête sur un roc.

— Elle glissait sous ta nuque !

— C’est donc ça qui me chatouillait ?

Un dernier frisson vibrait dans ce corps mince et luisant, que Georges toucha d’un doigt répugné.