Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/194

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— Oui, mon ami.

Ils se quitteraient sans douleur. S’aimaient-ils ? Non, mais ils avaient, à travers la lutte, la haine, l’indifférence, cheminé vers l’amour, et déjà ils étaient dans la trahison, puisque tous deux conjuraient dans l’épouvante de trahir.

Ce mutuel consentement les rassura pendant plusieurs minutes ; et, satisfaits chacun de lui-même et de l’autre, ils s’adressèrent quelques banalités. Mais le colloque s’alanguit, et leurs imaginations se torsionnaient à nouveau en deux rêves silencieux.

Elle, le passé la poignait moins que l’avenir : les angoisses du présent ne suffisaient pas à cette femme. Après le péril, son cerveau voulait et voyait des périls. Un involontaire baiser reçu dans le hasard d’une rencontre, ou donné sans désir d’amour, qu’était-ce, auprès du souvenir altéré qu’on en allait garder pendant toute la vie, côte à côte, dans une indéfinie tentation, dans l’inassouvissement du bonheur sans cesse offert et sans cesse possible ? Car elle se l’avouait, et concluait que Georges dût l’avouer aussi : un appétit maintenant les tenait dans leur chair et leurs lèvres conserveraient jusqu’à la mort la senteur des lèvres touchées. Mais le baiser qui damnait leur mémoire, qu’ils exécraient, qu’ils maudissaient, elle ne songea pas qu’il aurait pu n’être jamais échangé et sa contrition, acceptant la crainte et le remords, oublia le regret.

Georges ignorait la peur qu’on supposait en lui : il était plein de honte et de chagrin.