Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans arrière-pensée, comme si tout d’un coup elle avait reçu la révélation d’amour ; à elle aussi, il semblait bon de faire du bonheur, et ce rôle d’ange attentif l’affriolait par l’imprévu de ses sensations. Elle redoublait alors de grâce aimable et se délectait avec un parfait égoïsme dans ce beau dévouement qu’elle pensait avoir.

Chacun s’y méprit, d’ailleurs, et la journée fut bénie par eux tous.

À contempler le couple qui marchait à ses côtés, échangeant des gentillesses d’amoureux, Georges sentait l’émotion d’une délivrance subite ; là, il voyait triomphalement la fin de toutes ses terreurs ! Merizette ne s’était jamais montrée ainsi, et voilà qu’elle était muée ; il fallait donc que cette nature légère se trouvât en face du crime, pour en comprendre et en redouter la bassesse ? Elle n’était, au fond, que futile, coquette, curieuse, éprise du hasard et du danger ; elle savait, maintenant, et tout serait tranquille : elle mettrait dans l’amour reconquis l’exubérance nerveuse qui travaillait la solitude de son cœur. Jusqu’ici, avait-elle aimé Pierre ? Elle l’adorerait désormais, et cette fièvre inquiète qui semblait devoir empoisonner leur vie, ne tendrait qu’à la rendre plus étroite et plus chaude. Georges songeait de la sorte, et une joie profonde enlevait son cœur dans sa poitrine ; devant ce bonheur, devant son œuvre enfin, son œuvre, hélas ! il avait envie de pleurer. Il se chagrinait moins de ce baiser coupable :