Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/200

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La jeune femme, aussi, songeait à ce baiser : le souvenir lui en parut plus délicieux que la réalité. Sa grande ferveur d’amour légitime était un peu tombée. Cet amour-là, d’ailleurs, lui avait-il jamais donné le frisson dont elle rêvait, le suprême frisson après lequel aspirait toute la curiosité de son être, ce divin « au delà » qu’elle appelait dans les caresses, comme si quelque chose d’insaisissable encore se fût toujours reculé devant elle ?

Elle avait passé dans le remords quelques heures charmantes, mais déjà elle se lassait de son remords.

« C’est bien, mais après ? » Elle voyait se dérouler à l’infini la suite monotone des jours, et se fatiguait de son ennui futur. Demain, et puis demain ; hier, jamais plus ; sans fin, des lendemains pareils ; sans trêve, la solitude de cette maison et la continuité d’une affection qui n’aurait ni secousses, ni dangers, ni ressort ; un monde et des causeries insipides, des tendresses qui le deviendraient… Paris ! Quand donc ? Vivre, vivre ! Le premier devoir, c’est de vivre. Elle reconnut avec étonnement que les deux mois les plus agréables de sa jeunesse venaient de s’écouler depuis l’arrivée de Desreynes : elle ne leur pouvait comparer que les premières semaines de son mariage, et cette course en Italie qu’elle avait faite avec le comte, alors qu’elle travaillait de toute son imagination à voir un amant dans l’époux, et un enlèvement dans le voyage des noces ; mais le plaisir factice de cette sorte, banale en somme, puisque per-