Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/202

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enterrée dans ses collines ! Mais elle éprouvait moins de regret pour cet oubli prévu, que d’envie pour une existence à laquelle elle n’aurait point de part et qu’elle eût choisie entre toutes ; son ambition était plus jalouse que sa voluptuosité. Elle eût avec enthousiasme changé son personnage contre celui de Georges, et fût, à sa place, partie avec gaîté ; ce désir était même si puissant, qu’il resta logique jusqu’au bout, et Jeanne, malgré son orgueil, n’imagina pas de reprocher à Desreynes l’indifférence qu’il lui garderait dans un mois.

Ah, le suivre, être la maîtresse de sa maison et l’amie de ses amis, après épuration d’ailleurs ! Voilà l’époux qu’il aurait fallu à ses vœux : elle aurait tenu un salon célèbre, reçu les esprits en vogue et donné de resplendissants raoûts. Elle arrangeait une maison : son hôtel semblait une cour, elle semblait une reine.

« L’aurais-je trompé ? Je le crois. » Elle reconnut avec un peu d’étonnement qu’elle eût été pour Desreynes une épouse moins scrupuleuse que pour le comte : elle eût trahi plus aisément son élu que celui qu’elle trahissait déjà en sa faveur. Elle sourit à cette pensée.

— C’est vrai, pourtant, que je préférerais être la femme de Georges et l’amante de Pierre ! C’eût été plus difficile, d’abord… Comme la vie est drôle, à force d’être si mal faite !

Les deux amis reparurent à la lisière du parc. Jeanne contemplait le Parisien : il était vraiment d’une