Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/224

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rencontre plus ! J’irai si loin… Mais que vais-je devenir, moi, avec la pensée de cela ? Le jour, la nuit, cette pensée !

Les terreurs égoïstes revinrent sur la pitié ; Jeanne reparut, et derrière elle, la rage. Il aurait voulu rencontrer quelqu’un qui l’insultât, pour se battre, se venger, assommer, car il fallait de la mort ici !

La mort ! Et soudain, une idée lui traversa l’esprit, soulageante, exquise, belle comme un rêve, une idée de délivrance qui résolvait et finissait tout, une idée qui l’emplit d’une joie pareille à celle du condamné dont la grâce arrive sur les degrés de l’échafaud : « Je vais me tuer. »

Il vit dans le suicide sa propre libération, et un châtiment qui prouverait son remords. Il ne considéra pas qu’il y eût quelque chose à regretter dans la vie ; il écrirait à son ami pour lui dire la vérité entière, faire son adieu, demander son pardon…

Il s’assit.

Il regarda le ciel, qu’il ne verrait plus demain. Savoir qu’on va ne plus souffrir ! Vraiment, il n’était pas à plaindre ! L’existence l’avait toujours un peu gâté, et, pour une fois qu’il fallait en pâtir, il s’en allait ! En somme c’est bien commode, la vie, puisque rien n’oblige à la garder ! Pourquoi s’en plaindre, quand il est si aisé de mettre un terme aux maux qu’elle peut amener ? Dès qu’elle n’est plus à notre guise, on la jette !

Il reconquit dès lors une sorte de calme.