Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/228

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autres sentiments, et son mépris hargneux revenait d’elle à lui. Il s’inspirait à lui-même une telle répugnance, qu’il croyait commettre encore une profanation, en osant permettre à sa mémoire souillée le souvenir du noble ami. Ne suffit-il pas de repousser une pensée pour qu’elle nous obsède ? Georges ne songea bientôt plus qu’à Pierre. Il assista à la lecture de la lettre fatale.

— Qui donc le consolera, puisque je ne serai plus auprès de lui ? Avec qui pourra-t-il pleurer, lui qui n’avait que moi ?…

Il s’arrêta encore, puis s’accroupit à terre.

La marche, en beaucoup d’hommes, active la pensée, exalte le sentiment. Dès qu’ils se reposent, tout se repose en eux. Desreynes était rompu de lassitude. Quand le corps demande grâce, l’âme parfois entend la prière.

— Où suis-je ?

Il ne reconnut point cette route ; il n’était jamais venu là, sans doute. Où trouver la gare la plus proche ? À quelle heure rencontrer un train ?

Le ciel s’embrumait.

— Et mes bagages, qui sont là-bas ? Quels tourments ne va pas lui donner ma disparition, jusqu’au jour où viendra la lettre ! Je suis trop lâche ! Monstre d’égoïsme et de couardise ! Il faut des nuits pareilles pour savoir combien on se doit de dégoût… Il trouverait son devoir et le ferait, lui, s’il était… À ma place, pauvre ami, oh, pardon, voilà que je t’insulte encore…