Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deuil encore dressera entre eux le mur infranchissable.

Il lutta longtemps en lui-même ; cœur et tête, il se battait contre lui-même : il était le champ de guerre et les armées ; la douleur, dans ces combats, reprit son acuité première. Enfin, le second soir, las des heurts, il appela toute sa force.

Les tristes compagnons se promenaient sur la grève, au clair bleu de la lune, et l’idée qui pesait sur l’un d’eux imposait silence à tous deux.

Arsemar, plus d’une fois, essaya de parler, et ne sut.

— Georges… dit-il enfin d’une voix étouffée ; mais il s’arrêta.

Quelques minutes plus tard, il jeta brusquement : « Est-ce que tu l’aimes ? »

— Moi, mon pauvre Pierre ! Mais je la hais, comme moi-même ! Je la hais pour notre crime qui te dévore ! Et je donnerais ma vie pour te rendre pure celle qui s’est reprise à toi, que je t’ai prise, moi !

Arsemar eut une joie profonde à ce cri qui le délivrait ; il avait tremblé sans se le dire, devant la consommation d’une tâche surhumaine, à laquelle pourtant il s’était résolu ; il ne se loua pas, comme on fait d’ordinaire, d’avoir eu le mérite de l’abnégation sans en avoir la charge, mais il se réjouit que tout fût arrêté.

C’est la première fois qu’ils causaient de l’absente.

Georges regarda son frère, et devina tout.