Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/377

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doute notre égoïsme encore espère d’eux, et que les morts ne donneront plus rien ?… Du bien ou du mal, il faut qu’on nous donne. Si je l’avais perdue par la tombe, qu’éprouverais-je ? De l’amour, de la peine ; ni rancunes, ni jalousies, ni haines, ni espérances de passage ; je souffrirais moins… Quel monstre je deviens ! Ah ! vis et sois heureuse, si tu peux !

Cette ville recueillie lui avait plu dès l’abord : sur la place du Dôme, il éprouva une extase d’art devant la façade blanche et noire aux rayures fanées ; une autre dans l’église, parmi les marbres ivoirins, usés sous la main des fidèles ; une autre au Palais public, où sont les fresques à fond d’or qu’une clarté oblique effleure d’en haut, et qui luisent dans le mystère des pénombres sous la grille de fer ouvragé.

Pierre s’efforçait d’analyser pour ne pas jouir : il n’y parvenait qu’à demi.

Nous sommes, en cette génération, les amants des harmonies délicates et mourantes, dont la beauté serait la sœur des vierges pâles qu’une douce agonie efface déjà des vivants ; nous chérissons, avec une émotion réelle, ce qui s’éteint ; les fresques effacées, les antiques palais, dont s’est peu à peu voilée la splendeur primitive, nous pénètrent pour elles-mêmes et pour leur âge d’un amour…

— Que nous n’aurions pas, dit Pierre, si nous les voyions telles qu’elles furent à leur naissance : la communion qui existe entre nous et elles n’exista pas toujours, et nous avons le tort de reporter sur une