Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/380

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s’ouvrant sur des pentes plus sombres, pointées tout au loin d’un fanal.

Par un de ces soirs hantés de moyen âge, ils s’étaient assis au pied de l’immense muraille qui derrière le Palais public s’étale comme un rempart de forteresse ; on entendait chanter des voix de femmes, avec des mandolines ; une fête ancienne s’évoquait, dans des satins et des brocarts, derrière les rouges croisées, là-haut.

Les deux hommes écoutaient en silence, par crainte de leur voix et des réalités ; ils renaissaient dans un monde d’autrefois ; leur propre existence diminuait en eux, des aventures surannées et des vœux romantiques éveillaient leur imagination : un spadassin soudoyé allait sortir par la poterne… Ils comprenaient la possibilité d’une vie à refaire, et l’accession de l’oubli ; confusément la foi voulait naître ; l’amitié semblait demander qu’on osât croire encore en elle.

Ils demeurèrent là pendant près de deux heures, et s’en allèrent, toujours muets.

Pierre marchait le premier.

— Est-ce bien moi qui suis, ou qui étais ?

Leurs pas tapaient les dalles, et l’écho s’en prolongeait dans le creux des rues minces.

Arsemar méditait sur son état présent, les transformations de son âme et les bouleversements de sa destinée. Des pensées nouvelles s’immisçaient dans les souvenirs et malgré lui le distrayaient ; Jeanne, qu’il voulait voir, le fuyait ; au regret de l’avoir perdue se