Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/381

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mêla pour la première fois le regret de l’avoir connue…

— Hélas, notre vie ne dépend pas de nous : pendant que nous la préparons au gré de nos ambitions ou de nos rêves, que nous la préméditons avec un semblant de sagesse qui nous enjôle et qui nous leurre, il y a, deux cents lieues plus loin, un petit être quelconque qui ne sait même pas notre nom et qui grandit, sans nous prévoir, pour détruire notre songe et notre œuvre, et qui les détruira !

Mais par une sorte d’instinctive réparation, il se demanda : « Que devient-elle ? »

Il la chercha, femme esseulée, dans la ville où il l’avait prise, jeune fille en plein cadre de sa jeunesse ; il suivit la veuve adultère dans les salons où la vierge un peu grave passait jadis en robes blanches. Il écouta la voix berceuse qu’elle avait au soir de leur première rencontre ; il lui prit la main comme à cet autre soir des accordailles : reconnaissante et pure, elle se donnait à lui ; il la régénérait en de chastes tendresses ; mais lorsque, en descendant le cours des mois vécus, il vit l’enfant devenir une épouse, le charme bénin se rompit. Il jugea qu’il commençait à moins l’aimer, parce qu’il ne retrouvait plus en elle les promesses de la fiancée, et croyait voir une autre femme.

— Pourquoi l’adorais-je ainsi ? Était-elle née pour moi, et qu’avait-elle pour moi ?

L’amour qui s’analyse est tout près de finir : mais Pierre le savait, Pierre se le disait, et dans cette