Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il fut plus étonné qu’effrayé de la voir si puissamment assise, et constituant pour ainsi dire une essence de sa personnalité actuelle ; elle n’habitait pas en lui, elle était lui. À l’examen de ses actes récents, il constata qu’elle avait obscurément présidé à toutes ses décisions, à ses pensées, à ses pas même, ses pas hâtifs qui couraient avec impatience vers le terme de leur voyage : car, où Jeanne s’était arrêtée, on s’arrêtait.

— Comme j’ai vécu vite !

Sa conduite des derniers jours, la multiplicité et aussi la constance des sentiments qui l’avaient travaillé dans cette unique semaine, les heurts, les ressauts, les arrivées, les fuites, tout, les impressions et les faits s’étaient succédé, poursuivis, chassés l’un l’autre, avec une rapidité qui lui donnait maintenant le vertige.

En une si courte durée, l’amitié, le remords, la honte, l’espoir, l’ennui, le découragement, la peur, le désir, le dégoût, l’amour, la haine, la mort ! Il avait résumé la vie entière en une semaine, et le reste, s’il persistait, ne saurait plus être qu’une écœurante et banale répétition, interminablement la même.

— Non, cria-t-il, je veux vivre pour savoir jusqu’où l’on peut souffrir.

Mais il ne souffrait pas.

— Nous étions si heureux, en quittant Rome ! Pourquoi cela ne reviendrait-il plus ?

Quand on eut traversé la région des pins et des genêts, ils quittèrent leurs chevaux et gravirent à