Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
LA PEUR

à la condition de le garder sous l’œil ; mais il craignait les yeux, à moins d’être en dispute, car alors la colère le débarrassait de son âme, et il se battait avec l’énergie d’un ours.

Cette pusillanimité l’avait rendu sournois, d’une sournoiserie candide dont il ne se doutait même pas, toute pareille à celle des autres animaux. Simplement, il évitait de dire, afin de n’être pas contredit, et il se cachait, afin de n’être pas empêché. Il en arrivait, de la sorte, à vivre beaucoup en lui-même, couvant des projets dans son coin, et les apportant tout d’un coup, à la manière d’une poule disparue qui revient brusquement avec sa nichée de poussins.

Car il avait, pour les instants décisifs, un remède à sa poltronnerie : il buvait, sachant très bien qu’alors il viderait son cœur, dirait tout, casserait tout, sans avoir à s’y décider, et qu’au réveil il trouverait la besogne faite et bien faite.

— Et puis, quoi ? Si elle refuse, tant pis pour elle !

Un soir de mai, il buvait chez Anne-Marie, seul à l’heure de la soupe. La vieille tardait à rentrer.