Page:Hardy - Jude l’Obscur.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

par la route, essayant de ne pas penser aux géants, à Herne le chasseur, à l’Apollon qui tend des pièges, à Christian[1], au capitaine qui porte un trou sanglant au milieu du front et chaque nuit lutte contre des cadavres ressuscités et révoltés à tord du vaisseau maudit. Il savait bien qu’il avait passé l’âge de croire à ces horreurs, mais, néanmoins, il fut charmé quand il vit le clocher et les lumières aux fenêtres de la chaumière, quoique cette maison ne fût pas son foyer natal et que sa grand’tante ne se souciât guère de lui.


À travers la solide barrière de froides collines crétacées qui s’étendait au nord, Jude contempla toujours une cité merveilleuse, ce lieu qui avait semblé à son imagination la nouvelle Jérusalem. Pendant la morne saison humide, il savait qu’il pleuvait à Christminster, mais il pouvait à peine croire que la pluie y fût aussi triste qu’ailleurs. Souvent il allait jusqu’à la Maison-Noire, fasciné par la vue d’un dôme, d’un clocher ou d’une petite fumée qui lui semblait mystique comme un encens.

Il rêva de s’y rendre après la tombée du jour, et même d’aller un peu plus loin pour voir les lumières nocturnes de là cité. Malgré son appréhension de rentrer seul, il s’arma de courage et mit son projet à exécution. Il n’était pas bien tard quand il arriva à la Maison-Noire, juste à l’heure du crépuscule; mais le ciel sombre au nord-est, d’où soufflait le vent, paraissait favoriser son entreprise, n fut récompensé : sans distinguer Ira lumières, il apercevait un halo de brouillard lumineux. Dans ce rayonnement, Jude

  1. Héros du fameux poème : Pilgrim’s Progress.