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nora l’énigmatique

remarque bien. Et du talent ! Un homme supérieur, en somme. Je ne l’aimais pas ; je ne l’ai jamais aimé. D’amour, s’entend. Mais je l’aimais bien… Il me reposait ; il m’apaisait. Et quelle riche conversation. Quand il eut constaté ma grande préoccupation, que je fus en somme descendue de mon piédestal, il s’enhardit jusqu’à me demander ma main. J’hésitai longtemps avant d’accepter.

— Tu as été mariée ? s’écria Édouard.

— Je l’ai épousé, poursuivit Nora comme si elle n’avait pas entendu l’exclamation. Je ne l’aimais pas, je le répète ; je ne l’ai jamais aimé… Il était vaguement juif ; il s’est converti au catholicisme avant la cérémonie, en partie par amour, en partie par conviction.

Il me semblait avoir trouvé ce que je cherchais. Non pas l’amour. Un foyer, moi qui en manquais depuis la mort de mes parents. Un but dans la vie, puisque je craignais que ne m’échappe celui vers lequel je tendais depuis mon enfance. Je me voyais avec des enfants, apaisée, heureuse. J’abandonnai la scène. Je ne chantais plus qu’en de rares concerts, bien préparés, composés d’œuvres de haute tenue, devant un auditoire choisi… Je n’eus pas d’enfants… Cette éclaircie dans mon existence n’a duré que peu de temps… La guerre est venue…

— Mais, quel âge as-tu donc ? interrompit Édouard.

— Oh ! je suis jeune encore, sourit Nora. Tout ce que je te raconte s’est passé en un petit nombre d’années…

La guerre est venue… Mon mari, mobilisé à l’arrière, était employé au service de l’information, sous Giraudoux. Je m’occupais d’œuvres de guerre. Nous avons traversé paisiblement la période de la drôle de guerre,