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nora l’énigmatique

Je me vois avec une parfaite lucidité, car j’ai eu le temps de réfléchir, de m’analyser, tu penses bien. La méditation n’a fait qu’éclaircir ce que je ressentais autrefois un peu confusément bien qu’avec force.

Tu le sais déjà, j’ai fait la dernière guerre. Je l’ai faite avec entrain, avec ardeur : la guerre était mon élément. Comme pour toi, c’est elle qui m’avait révélé à moi-même. Seulement, moi, j’avais eu une adolescence plus dorée que la tienne. Sans être riche, ma famille vivait bien comme on dit et m’avait donné une solide instruction. Ça, tu le sais aussi… Car je pense bien que tu as connu les miens ? Ils vous ont aidés ?

— Ils sont ruinés depuis longtemps, dit Édouard.

— Ah ! murmura le capitaine, j’ignorais.. J’ai bien fait la guerre. Tu vois, j’ai le D. S. O., la croix militaire… Comme tant de jeunes officiers, je suis retombé dans la vie civile comme dans un monde hostile et inconnu. L’insouciance de la vie des camps, l’exaltation du danger, l’ardeur que nous mettions dans une existence qui pouvait être si brève, tout nous manquait à la fois. Et quelles perspectives ? L’armée permanente ? Elle était si restreinte, chez nous, que bien peu pouvaient y entrer. Et puis, la vie de garnison, en temps de paix ! Restait le bureau : de longues heures, chaque jour, derrière un pupitre, à compulser des dossiers. Je n’étais pas de ceux qui peuvent s’en accommoder.

Vaguement ingénieur, je me trouvai un emploi où j’eus du succès, mais qui me plaisait médiocrement. Je connus ta mère, femme de grâce physique et morale, être exquis. Nous nous sommes aimés tout de suite et mariés, sans beaucoup tarder. Nous avons vécu un bonheur profond, surtout quand tu es venu nous unir