Page:Harvey - Les armes du mensonge, 1947.djvu/30

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Aux uns, on impose un système philosophique tout cuit d’avance et un ensemble de croyances qu’il est défendu même de discuter ; aux autres, on indique superficiellement des méthodes de penser et de faire des équations mentales, sans rien approfondir. On semble ignorer ce qu’est la vraie culture, celle qui se distingue par un harmonieux équilibre des facultés et qui procure à l’esprit des dispositions et des aptitudes plus précieuses que la science elle-même.

Les excès de spécialisations et de systématisations ont produit des hommes remarquables dans leur champ d’action. Par contre, ils ont terriblement nui à l’intelligence des idées. Elles ont empêché une foule d’esprits de bonne qualité de poursuivre leur ascension vers l’universalité.

Après une longue carrière entièrement consacrée à la discussion des problèmes les plus divers, j’ai observé suffisamment les hommes pour savoir que les plus aptes à juger sainement sont ceux qui ne souffrent pas de déformation professionnelle et qui se tiennent le plus possible dans l’universel. Toutes les cultures que j’ai pu coudoyer m’ont conduit à cette conclusion, je dirais, à cette certitude.

Il ne faudrait toutefois pas tomber dans l’excès contraire. Nous vivons à une époque où les nécessités scientifiques et techniques impliquent des études si ardues, des connaissances si étendues, qu’il devient impossible de se contenter de cette culture générale qui a fait la beauté et la noblesse des anciens. Il faut trouver le juste milieu. La vie n’est ni une belle abstraction ni une formule chimique.

Si j’attache de l’importance à ce point de vue, c’est que, il me semble, la confusion des idées serait moins grande si les hommes apprenaient à raisonner par eux-mêmes.

Lorsque la plupart des individus s’acharnent presque uniquement à leur petite spécialité, à leur petit talent particulier, à des miniatures intellectuelles, ils finissent par oublier l’existence des autres domaines de l’activité humaine, et c’est alors qu’ils sont disposés à croire tout ce qui se dit ou s’imprime sur des sujets situés hors de leur compétence ou de leurs investigations concentrées.

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