Page:Harvey - Marcel Faure, roman, 1922.djvu/14

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rêve, entre deux azurs, de contempler les villages qui dentellent les deux rives, et dont les églises, se détachant sur les hauteurs, sont comme des tableaux fixés par les clous de leur croix à une muraille de clartés.

— Marcel, c’est très beau, ce que tu dis ; mais tu n’es pas logique : tu viens de railler les poètes et te voilà lancé en pleine poésie !

— C’est différent : il s’agit ici d’un fait vivant et palpable… Je voulais te rappeler qu’il fut un jour où nos pères faisaient ce trajet en canot d’écorce. C’était pénible et interminable. Combien de gerçures ont rendu leurs mains rugueuses, au contact de la rame ! Mais, parce qu’ils étaient Français — les Français chantent toujours — leur voix mâle glissait joyeuse sur le flot dur :


Allons de l’avant !
Nos gars,
Allons de l’avant !


C’est surtout la chanson qui est devenue l’idée fixe du poète des tombeaux. Il a la nostalgie des syllabes qui, jadis, mordaient crânement dans la souffrance. Je les aime quand même, ces troubadours. L’illusion généreuse, le tourment du beau…

— Regarde, Marcel ! Est-ce assez féerique ?