Page:Hasek-Le brave soldat chveik,1948.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’empêcher de dire au moment où il coupait le roi de pique par un sept d’atout :

— Le roi abattu comme à Saraïévo !

Le cinquième, celui qui avait déclaré être là « à cause de l’assassinat de Monseigneur l’archiduc », avait les cheveux et la barbe encore hirsutes d’épouvante, ce qui le faisait ressembler à un griffon d’écurie.

Au restaurant où il avait été appréhendé, il n’avait pas soufflé un seul mot, évitant même de lire ce que les journaux rapportaient sur la mort de l’héritier du trône. Il se tenait tout seul à sa table lorsqu’un monsieur, qui était venu s’asseoir en face de lui, lui avait demandé à brûle-pourpoint :

— Vous l’avez lu ?

— Non, je n’ai rien lu.

— Mais vous savez la nouvelle ?

— Non.

— Enfin, vous savez bien ce que je veux dire ?

— Non. Je ne m’occupe de rien du tout.

— Mais ça devrait vous intéresser tout de même, voyons ?

— Je ne m’intéresse à rien de rien. Le soir je fume tranquillement mon cigare, je bois mes demis de bière, je dîne, mais je ne lis pas. Les journaux mentent. À quoi bon me fatiguer la tête ?

— Alors, vous ne vous intéressez même pas à cet assassinat de Saraïévo ?

— Aucun assassinat ne m’intéresse, qu’il ait lieu à Prague, à Vienne, à Saraïévo ou à Londres. Pour ça, il y a des autorités ! les tribunaux et la police. Moi, ça ne me regarde pas. S’il se trouve des types assez imbéciles pour aller se faire tuer