Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 1.djvu/295

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sante Princesse Madame l’Histoire, qui s’aquitta long-temps de cette charge sans que l’on peust former aucun reproche contre son ministère. Messieurs les Memoires, ses Agends, estoient du bon temps auquel on ne pouvoit mentir à moins que de rougir aussi-tost, et sans baille l’y goust, ces fidelles commis luy donnoient des viandes toutes maschées, qu’elle ne faisoit qu’avaller ; bien souvent aussi sans se fier qu’à soy-mesme, ses yeux fortifiez de lunettes et ses aureilles de cornes en façon d’entonnoirs, elle vouloit estre présente à toutes les actions memorables, et sans embellir ny farder la vertu, elle escrivoit un tel a bien fait en telle occasion, ou tel est un lasche, et n’a rien fait qui vaille ; observant la justice distributive qui donne à chacun ce qui luy appartient : ce n’estoit pas là parler par ouy dire, puisque ses aureilles et ses yeux luy fournissoient tousjours de quatre tesmoins contre qui l’on ne pouvoit s’inscrire en faux et, donnant d’un je l’ay veu par le nez, elle pouvoit envoyer promener ceux qui luy auroient voulu contredire.

Les esprits estant devenus plus raffinez et curieux, on ne fust plus si religieux à l’observation de ses ordres ; l’on s’immagina que c’estoit mal parler que de dire la verité, et qu’il falloit mentir pour escrire à la mode ; dès-lors Madame l’Histoire n’eust plus de vogue, chacun luy donna quelque lardon, l’on se torcha le cul de ses escrits, et l’on la descria comme la fausse monnoye. Une conjuration se forma contre son authorité dont un Prince malaisé nommé Roman s’institua le chef ; c’estoit le plus grand ennemy de la verité, il mentoit comme un arracheur de dents, et pour habler et controuver des contes, il n’en craignoit teste d’homme vivant. Cet adroit courtisan fit si bien par ses galanteries et complaisances estudiées qu’il attira bien du monde à son party ; et surtout le beau sexe, qui se charme de vetilles, le trouvant fort propre pour l’instruire à faire l’amour et le rendre sçavant jusques aux dents en fait de compliments, fleurs de bien dire et cageolleries, le supporta si bien et si beau, qu’à sa faveur il débusqua l’Histoire, et s’installa dans son domaine avec tant d’éclat et d’approbation qu’on ne parloit que par Roman. Il s’estudioit principalement à mentir avec grace, inventer