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On sait que Linguet périt sur l’échafaud ; mais on sait peut-être moins généralement qu’il y fut conduit par un paradoxe, mourant comme il avait vécu. Il fut, en effet, traduit devant le tribunal révolutionnaire et condamné pour avoir mal parlé du pain. Voici ce qu’il en avait dit, — et cette citation est singulièrement propre à donner une idée de cet amour excessif du paradoxe qui était le trait saillant de son caractère :


Le pain, considéré comme nourriture, est une invention dangereuse et très-nuisible. Nous vivons de cette drogue, dont la corruption est le premier élément, et que nous sommes obligés d’altérer par un poison pour la rendre moins malsaine. Le pain est plus meurtrier encore cent fois par les monopoles et les abus qu’il nécessite, qu’utile par la propriété qu’il a de servir d’aliment. Le plus grand nombre des hommes n’en connaît pas l’usage, et, chez ceux qui l’ont adopté, il ne produit que de pernicieux effets. C’est le luxe seul qui nécessite le pain, et il le nécessite parce qu’il n’y a point de genre de nourriture qui tienne plus les hommes dans la dépendance. L’esclavage, l’accablement d’esprit, la bassesse en tout genre dans les petits, le despotisme, la fureur effrénée de jouissances destructives, sont les compagnes inséparables de l’habitude de manger du pain, et sortent des mêmes sillons où croît le blé !


Linguet attendait avec impatience le moment de paraître devant le redoutable tribunal ; il se faisait une fête, disait-il à ses compagnons de captivité, de dévoiler la sottise et l’atrocité de ses ennemis. Mais il n’avait plus affaire à la grand’chambre ; on ne voulut même pas entendre sa défense. « Ce ne