Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 3.djvu/394

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Le plus curieux, c’est qu’il se trouvait lui-même très-modéré, et il poussait les hauts cris quand on retournait contre lui cette arme de la critique qu’il maniait avec si peu de ménagement. Il écrivait au directeur du Mercure :


Je ne veux de mal à personne ; mais, quoique indulgent par caractère, je deviens vindicatif par raison : je m’aperçois qu’on n’est ménagé dans le monde qu’autant qu’on y paraît méchant. La littérature est, à cet égard, un monde très-perfectionné. Ainsi, je n’attaquerai jamais le premier ; mais j’ai juré de ne me laisser jamais attaquer impunément. Je tiendrai ma parole, et vous serez bientôt le maître d’en faire l’expérience. Il paraîtra de moi, à la Saint-Martin, trois ouvrages intéressants, au moins par leur objet : critiquez-les, je serai le premier à vous applaudir, si c’est avec raison ; mais parlez-en décemment, si vous en parlez, ou bien je relirai mon Voltaire pour y apprendre comment il faut traiter un journaliste qui s’oublie.


Il faut songer que Linguet était surexcité par l’ardeur de la lutte quand il parlait ainsi ; à son début dans la carrière du journalisme, il affectait des sentiments beaucoup moins agressifs. Répondant à l’abbé Roubaud, rédacteur de la Gazette d’Agriculture, il assurait qu’on essayerait en vain de faire entrer dans son cœur une tentation de vengeance.


Jusqu’ici, disait-il, je ne me suis jamais livré à ces mouvements peu chrétiens que quand j’ai été provoqué. Dorénavant je veux conserver mon sang-froid même contre l’outrage. L’expérience me fait voir qu’on ne gagne rien à s’échauffer. Quoique la vérité n’aille guère avec la froideur, il faut tâcher de ne pas lui donner pour compagnes la colère et la malignité, qui s’allient trop aisément avec le mensonge.