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entraves de toute nature, gagné considérablement de terrain ; ils avaient fini par conquérir, comme, en général, l’expression de la pensée, une somme assez grande de liberté ; mais cette liberté était en quelque sorte intermittente. D’une tolérance que l’on aurait pu quelquefois accuser de faiblesse, le gouvernement, qui, sentant le terrain fuir sous ses pieds, était en proie à une sorte de vertige, passait tout à coup à d’excessives rigueurs. « Les chansons, les vers, les estampes satiriques, lit-on dans les Mémoires du marquis d’Argenson, pleuvent, même contre la personne du roi… Voilà une mode bien acharnée, une véritable rage. Bientôt le recueil de ces satires modernes ira aussi loin que celui des Mazarinades ; on pourra les appeler les Poissonnades. » Après avoir longtemps laissé faire, on se ravise un beau jour : « Chaque nuit se font de continuelles captures de beaux esprits, d’abbés savants, de professeurs de l’Université, de docteurs de Sorbonne, soupçonnés de faire des livres, des chansons, des vers ; de répandre de mauvaises nouvelles aux cafés et aux promenades, de fronder contre le ministère, d’écrire et imprimer pour le déisme et contre les mœurs ; à quoi l’on voudrait donner des bornes, la licence étant devenue trop grande. On n’appelle plus cela que l’inquisition française[1]. »

Mais le siècle n’était guère à l’inquisition ; l’esprit

  1. Mémoires du marquis d’Argenson, édition elzevirienne, t. 3, p. 249, 276.