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qui dictent ses préceptes et ceux qui les mettent en usage. Voilà quel serait l’ouvrage périodique qui ne mériterait pas ce nom.

Entre les livres, par exemple, qui ont paru nouvellement, il en relèverait un qui a pour titre : Considérations sur l’état présent de la Littérature en Europe. Cet ouvrage, qui a des vues très-saines sur la littérature en général, est un de ceux qui dit les meilleures choses sur les journalistes en particulier. Il en fait voir l’abus, la futilité, et surtout le danger. Ces messieurs doivent avoir été choqués de cet ouvrage ; mais le public en doit de sincères remerciements à M. l’abbé Aubry, qui en est l’auteur. Il y a du courage et de la noblesse à s’élever contre de tels abus, et une plus grande gloire quand on est presque le seul qui s’y oppose. On lira avec plaisir ce portrait qu’il fait des journalistes :

« Pour ces faiseurs de feuilles périodiques, dit-il, qui ne montrent guère plus d’éducation que de génie, le public les dévoue à toute l’ignominie dont ils veulent diffamer leurs maîtres. N’est-ce pas assez du vice de leur ignorance grossière ? Faut-il y joindre un crime odieux : celui de la satire ! Possédés de la fureur d’écrire, ils font très-mal un très-mauvais métier.

» Quand je pense à ces hommes, vraiment industrieux, qui doivent chacun de leurs repas à quelques pages des ouvrages d’autrui, quand je les vois, à certains jours marqués, venir chercher dans la boutique des libraires des matériaux pour quelques feuilles d’impression, je ne puis m’empêcher de rire d’un ris de pitié. Je me rappelle un petit animal que les naturalistes nomment le soldat. Cet insecte aime passionnément à vivre dans une coquille ; comme la nature ne lui en a point donné, il s’accommode de celle des autres. J’ai vu moi-même ces reptiles innocents descendre en troupe du haut des montagnes, une fois tous les ans, et couvrir tout le rivage, courant çà et là pour trouver chacun une coquille qui lui convienne. Rien n’est plus amusant que leur industrie en cette rencontre. Ils en essaient vingt : l’une est trop grande, l’autre trop petite ; celle-ci n’est point assez brillante, celle-là est incommode. Enfin lorsqu’ils en ont trouvé une à leur gré, ils y entrent et en prennent possession. Alors vous les voyez, tous ainsi équipés, remonter vers le sommet des montagnes, où