Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mais depuis que la tante est morte, nous ne pouvons plus aller à la fête des arquebuses de Goslar, et là-bas, c’est bien beau.

« Ici, au contraire, tout est triste, sur la hauteur froide de la montagne, et l’hiver nous sommes tout à fait comme enterrés dans la neige.

« Et je suis une fille craintive, et j’ai peur comme un enfant des méchants esprits de la montagne qui travaillent pendant la nuit. »

Tout à coup la petite se tait, comme effrayée de ses propres paroles et elle a, de ses deux petites mains, couvert ses jolis yeux.

Le sapin murmure plus bruyant au dehors, et le rouet jure et gronde, et la guitare résonne au milieu de ces bruits, et la vieille chanson bourdonne :

« Ne crains rien, chère enfant, de la puissance des méchants esprits ; jour et nuit, chère enfant, les anges célestes te gardent. »


2

Le sapin avec ses doigts verts frappe aux vitraux de la petite fenêtre, et la lune, aimable curieuse, verse sa jaune lumière dans la chambrette.

Le père, la mère, ronflent doucement dans la pièce voisine ; mais nous deux, jasant comme des bienheureux, savons nous tenir éveillés.

« Tu ne me fais pas l’effet de prier trop souvent, mon ami ; cette moue de tes lèvres ne vient certainement pas de la prière.

« Cette moue méchante et froide m’effraie à chaque instant ; pourtant mon inquiétude est calmée aussitôt par le pieux rayon de tes yeux.

« Je doute aussi que tu aies ce qui s’appelle avoir la foi ; — n’est-ce pas que tu ne crois pas en Dieu le Père, ni au Fils, ni au Saint-Esprit ? »

— Ah ! ma chère enfant, quand tout petit j’étais assis aux genoux de ma mère, je croyais déjà en Dieu le Père, qui plane en haut dans la bonté et dans la grandeur ;