Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/180

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Elle chantait l’amour et les peines d’amour, l’abnégation et le bonheur de se revoir là-haut dans un monde meilleur, où toute douleur s’évanouit.

Elle chantait cette terrestre vallée de larmes, nos joies qui s’écoulent dans le néant comme un torrent, et cette patrie posthume où l’âme nage transfigurée au milieu de délices éternelles.

Elle chantait la vieille chanson des renoncements, ce dodo des cieux avec lequel on endort, quand il pleure, le peuple, ce grand mioche.

Je connais l’air, je connais la chanson, et j’en connais aussi messieurs les auteurs. Je sais qu’ils boivent en secret le vin, et qu’en public ils prêchent l’eau.

Ô mes amis ! je veux vous composer une chanson nouvelle, une chanson meilleure ; nous voulons sur la terre établir le royaume des cieux.

Nous voulons être heureux ici-bas, et ne plus être des gueux ; le ventre paresseux ne doit plus dévorer ce qu’ont gagné les mains laborieuses.

Il croît ici-bas assez de pain pour tous les enfants des hommes ; les roses, les myrtes, la beauté et le plaisir, et les petits pois ne manquent pas non plus.

Oui, des petits pois pour tout le monde, aussitôt que les cosses se fendent ! Le ciel, nous le laissons aux anges et aux moineaux.

Et s’il nous pousse des ailes après la mort, nous irons visiter là-haut les bienheureux et nous mangerons avec eux les gâteaux célestes.

Une chanson nouvelle, une chanson meilleure ! Elle résonne comme flûtes et violons ! Le miserere est passé, le glas funèbre se tait.

La vierge Europe est fiancée au beau génie de la liberté ; ils enlacent leurs bras amoureux, ils savourent leur premier baiser.