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Et le brave compagnon qui me l’abattra, je l’investirai du sceptre et de la couronne rhénane ; nous sonnerons des fanfares, et nous crierons : Vive le roi !


4

J’arrivai à Cologne le soir, assez tard ; j’entendis bruire la grande voix du Rhin ; je sentis l’air d’Allemagne glisser sur mon visage, et je ressentis son influence —

Sur mon appétit. Je mangeai une omelette au jambon, et comme elle était très salée, je dus l’arroser de vin du Rhin.

Le vin du Rhin brille toujours comme de l’or dans le vert Rœmer, et si tu bois quelques gorgées de trop, il te monte au cerveau.

Il te monte au cerveau un si doux chatouillement, que tu n’en peux plus de volupté. Ce fut lui qui me fit errer, dans la nuit, par les rues désertes et silencieuses.

Les maisons me regardaient comme si elles eussent voulu m’apprendre des légendes des temps d’autrefois, des légendes de la sainte ville de Cologne.

C’est ici que la prêtraille a mené sa pieuse vie. Ici ont régné les hommes noirs qu’Ulrich de Hutten a décrits.

Ici le cancan du moyen âge fut dansé par les moines et les nonnes ; ici Hochstrasen distilla ses dénonciations.

Ici la flamme du bûcher a dévoré des livres et des hommes ; et les cloches tintaient, et on chantait : Kyrie eleison !

Ici la stupidité s’accouplait à la méchanceté, comme des chiens sur la place publique. On reconnaît encore aujourd’hui les petits-fils à leur fanatisme stupide.

Mais regarde ! là, au clair de lune, ce colossal compagnon ! sombre et chagrin, il se dresse vers les nues, — c’est le dôme de Cologne.

Il devait être la bastille de l’esprit, et les rusés ultramontains pensaient : — C’est dans cette gigantesque prison que languira la raison allemande.