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Ah ! Seigneur Dieu ! Les chevaliers prussiens sont toujours au bord du Rhin, et plus d’un de ces pauvres hères, arrivé dans le pays maigre comme une cigogne, a maintenant le ventre rondelet.

Ces pâles canailles, qui avaient l’air jadis des trois vertus théologales, ont tant bu, depuis, de notre vin du Rhin qu’ils ont fini par avoir des trognes rouges.

Et la liberté s’est foulé le pied, elle ne peut plus sauter et danser. Le drapeau tricolore, à Paris, regarde tristement du haut de ses tours.

L’empereur est ressuscité depuis ; mais les vers anglais en ont fait un homme tout pacifique, et il s’est laissé rensevelir sans mot dire.

J’ai vu moi-même ses funérailles ; j’ai vu le char doré et les Victoires dorées qui supportaient le cercueil doré.

Le long des Champs-Elysées, sous l’arc de triomphe, par le brouillard et sur la neige, le convoi défila lentement.

La musique raclait d’une effroyable façon, les nez des musiciens étaient bleus et leurs doigts raides de froid ; les aigles des étendards me saluaient d’un air piteux.

Les hommes regardaient avec des yeux hagards, à la fois réjouis et terrifiés, comme s’ils voyaient apparaître un fantôme chéri. Dans leur âme se rallumaient les vieux souvenirs du rêve impérial. Le conte de fée de l’empire, avec ses splendeurs héroïques, était évoqué devant eux.

J’ai pleuré ce jour-là. Les larmes me sont venues aux yeux, quand j’ai entendu retentir ce cri d’amour, oublié depuis longtemps : Vive l’Empereur !


9

J’étais parti de Cologne à huit heures moins un quart du matin. Nous arrivâmes à Hagen vers les trois heures. C’est là que l’on dîne.