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« Je vais le voir de temps en temps, et il se plaint alors des ennuis de son métier, de ce métier de roi, qu’il est condamné à faire dans le royaume de Hanovre.

« Habitué à la vie de la Grande-Bretagne, il se dit trop à l’étroit ici, le spleen le tourmente, il craint presque de ne pouvoir à la longue résister à une idée patibulaire.

« Avant-hier je l’ai trouvé tout triste, accroupi devant la cheminée, — c’était le matin. — Sa Majesté faisait infuser elle-même un lavement pour ses chiens malades. »


20

De Harbourg, je fus dans une heure à Hambourg. C’était le soir ; les étoiles me saluaient ; l’air était doux et frais.

Et lorsque j’arrivai près de madame ma mère, sa joie fut presque de l’effroi : « Mon cher enfant ! » s’écria-t-elle, en frappant ses deux mains.

« Mon cher enfant, voilà bien treize ans que je ne t’ai vu. Tu dois avoir faim ; dis-moi, que vas-tu manger ?

«J’ai du poisson, de l’oie et des oranges de Portugal. » — « Alors donne-moi du poisson, de l’oie et des oranges de Portugal. »

Et pendant que je mangeais avec grand appétit, ma mère, toute gaie et heureuse, me demandait ceci, me demandait cela, et parfois me faisait des questions captieuses.

« Mon cher enfant, et te soigne-t-on bien, là-bas, dans le pays étranger ? Ta femme est-elle bonne ménagère, et te raccommode-t-elle tes bas et tes chemises ? »

« Le poisson est excellent, ma petite mère ; mais il faut le manger en silence ; on attrape si vite une arête dans le gosier. Ne me trouble pas maintenant. »

Et quand j’eus dévoré ce brave poisson, on me servit l’oie. Ma mère me demandait ceci, me demandait cela, et parfois me faisait des questions captieuses.