Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/211

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« L’incendie prit à la fois de tous côtés ; on ne voyait que feu et fumée. Les tours des églises flambaient et s’écroulaient avec un fracas terrible.

« La vieille Bourse est brûlée, là où se promenaient nos pères et où, pendant des siècles, ils ont fait de bonnes affaires en trafiquant aussi honnêtement que possible.

« La Banque, cette âme d’argent de la ville, et son grand livre où chacun est estimé à sa juste valeur, sont restés intacts, Dieu soit loué !

« Dieu soit loué ! on a fait des collectes pour nous, jusque chez les nations les plus lointaines. C’est une bonne affaire ; la collecte a bien rapporté huit millions !

« De tous les pays l’argent affluait dans nos mains ouvertes. Nous acceptâmes aussi des vivres ; nous ne dédaignions aucune aumône.

« On nous a expédié des vêtements et des lits en quantité, et du pain, de la viande, de la soupe ! Le roi de Prusse voulait même nous envoyer des troupes.

« Le dommage matériel a été réparé. On peut l’estimer à tant. Mais la peur, la peur, personne ne peut nous la payer. »

Pour les consoler, je leur dis : « Mes bonnes gens, il ne faut pas pleurer et vous désoler ainsi. Troie était une bien autre ville, et pourtant il lui fallut brûler !

« Rebâtissez vos maisons, desséchez vos cloaques, procurez-vous de meilleures lois et de meilleures pompes à feu.

« Ne mettez pas trop de piment de Cayenne dans vos potages à la tortue. Vos carpes aussi ne valent rien, vous les faites cuire avec les écailles.

« Des dindes truffées ne vous font pas grand mal ; mais défiez-vous de la malice de l’oiseau qui a pondu son œuf dans la perruque du bourgmestre.

« Quel est ce maudit oiseau ? je n’ai pas besoin de vous le dire. Quand je pense à ce crapaud ailé de Brandebourg, tout mon dîner tourne dans mon estomac. »