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Les hommes me parurent encore plus changés que la ville ; ils errent çà et là, si tristes, si affaissés, qu’ils ont l’air de ruines ambulantes.

Ceux qui étaient maigres, sont encore plus minces ; ceux qui étaient gras, sont encore plus replets. Les enfants sont vieux, et les vieux pour la plupart sont tombés en enfance.

Plusieurs que j’ai quittés veaux, sont à l’état de bœuf à présent. Maintes petites dindes d’alors sont devenues de grandes dindes au fier plumage.

Je trouvai la vieille Gudule fardée et parée comme une sirène ; elle a fait l’acquisition de cheveux noirs et d’éblouissantes dents blanches.

L’homme qui s’est le mieux conservé, c’est mon ami le papetier. Ses cheveux sont devenus jaunes et flottent autour de sa tête ; il ressemble à saint Jean-Baptiste.

Je revis aussi mon vieux censeur. Je le rencontrai au milieu du brouillard, tout cassé, sur le marché aux oies. Il paraissait fort abattu.

Nous nous serrâmes les mains ; une larme nagea dans l’œil du bonhomme. Comme il se réjouit de me revoir ! Ce fut une scène touchante.

Je n’ai pas revu tout mon monde des anciens jours. Plus d’un avait quitté cette vallée de misère. Hélas ! mon cher Gumpelino même, je ne l’ai plus rencontré.

La noble créature venait de rendre sa grande âme. C’est maintenant un des séraphins qui planent au pied du trône de l’Éternel.

En vain je cherchai partout l’Adonis bancal qui vendait, par les rues de Hambourg, des tasses et des vases de nuit en porcelaine.

Sarras, le fidèle caniche de mon libraire, est mort. Quelle