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Campe était l’amphitryon ; il souriait de joie, son œil rayonnait d’extase, comme une madone transfigurée.

Je mangeai et je bus avec grand appétit, et je disais en mon âme : Campe est vraiment un grand homme, c’est la fleur des éditeurs.

Un autre éditeur m’eût peut-être laissé mourir de faim, mais lui, il me donne même à boire ; je ne le quitterai jamais.

Je remercie Dieu dans le ciel qui a créé le jus de la treille, et qui pour éditeur m’a donné Julius Campe ici-bas.

Je remercie Dieu dans le ciel qui, par son fiat tout-puissant, a créé les huîtres dans la mer et le vin du Rhin sur la terre.

Lui qui fait croître les citrons pour arroser les huîtres. Laisse-moi seulement, ô Père ! bien digérer cette nuit.

Le vin du Rhin me rend tendre, et chasse de ma poitrine tous soucis, il y infuse l’amour de toute l’humanité.

Il me faut alors quitter la salle et flâner dans la rue. L’âme cherche une âme et épie les robes blanches et légères.

Dans de pareils moments, je déborde de tendresse et de désir. Les chats me semblent tous gris, les femmes me semblent toutes des Hélènes.

Et lorsque je fus à la rue Drehbahn, je vis à la lueur de la lune une femme de haute stature, une femme aux appas merveilleusement développés.

Son visage était rond et frais, ses yeux comme des turquoises, les joues comme des roses, sa bouche comme des cerises, et le nez aussi un peu rouge.

Sa tête était coiffée d’un bonnet de lin blanc et empesé, plissé en forme de couronne murale avec des tourelles et des créneaux dentelés.

Elle portait une tunique blanche qui lui descendait jusqu’aux mollets. Et quels mollets ! Ses jambes ressemblaient à deux colonnes doriques.