Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/215

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Ses traits avaient une expression banale et même des plus vulgaires, mais son derrière, d’une étendue démesurée, annonçait un être surhumain.

Elle s’avança vers moi, et me dit : « Sois le bienvenu aux bords de l’Elbe, après treize ans d’absence. Je le vois, tu es toujours le même.

« Tu cherches peut-être ces âmes aimantes que tu as rencontrées si souvent dans ces aimables parages ?

« La vie les a dévorées, la vie, ce tourbillon vorace, cette hydre aux cent têtes. Tu ne retrouves plus le beau temps d’autrefois et tes belles contemporaines !

« Tu ne retrouves plus ces douces fleurs que ton jeune cœur divinisait. Elles ont fleuri ici ; maintenant elles sont flétries, et la tempête les a effeuillées.

« Se faner, s’effeuiller, être foulé aux pieds de l’impitoyable destinée, mon ami, tel est le sort de tout ce qui est beau et aimé sur la terre. »

— « Qui es-tu ? m’écriai-je, tu me considères comme un rêve des anciens jours. Où demeures-tu, femme majestueuse, ne puis-je pas t’accompagner ? »

La femme se prit à sourire et dit : — « Tu te trompes, je suis une personne morale, décente et bien élevée ; tu te trompes, je ne suis pas ce que tu penses.

« Je ne suis pas une de ces petites demoiselles, une de ces lorettes parisiennes ; car, apprends-le, je suis Hammonia, la déesse protectrice de Hambourg.

« Tu t’étonnes et tu t’effrayes à la fois, poète si courageux d’ordinaire ; — veux-tu m’accompagner maintenant ? Eh bien, ne tarde pas davantage ! »

Je partis d’un éclat de rire, et m’écriai : — « Je te suis sur-le-champ ; marche en avant, je te suis, dusses-tu me mener en enfer ! »