Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/219

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« Jamais l’arbitraire ne régna tout à fait, jamais on n’enleva sans jugement la cocarde nationale, même au plus dangereux démagogue.

« Jamais l’Allemagne n’en vint aux extrémités de la misère, malgré toute la rigueur des temps. Crois-moi, jamais personne n’est mort de faim dans une prison allemande.

« Le temps passé avait bien ses mérites et son charme ; on y voyait s’épanouir les douces fleurs de la foi et du dévouement ; maintenant c’est le règne du doute, de la négation.

« La liberté pratique finira par anéantir l’idéal que nous avons dans le cœur. C’est un rêve pur comme celui des lis, et qui se flétrit dans les clameurs démocratiques.

« Notre belle poésie aussi va s’éteindre, elle est même déjà un peu éteinte.

« Nos enfants auront de quoi boire et manger, mais ce ne sera pas dans le calme de la vie contemplative. J’entends gronder le drame terrible qui se prépare. L’idylle est finie.

« Oh ! si tu pouvais garder le silence, je t’ouvrirais le livre de la destinée, je te ferais voir l’avenir dans mon miroir magique.

« Ce que je n’ai jamais montré à aucun mortel, je te le montrerais, l’avenir de ta patrie. Mais hélas ! tu es bavard et ne peux garder le silence. »

— « Seigneur Dieu, ma déesse ! m’écriai-je plein d’enthousiasme, ce serait mon plus grand bonheur. Laisse-moi voir l’Allemagne de l’avenir, je suis un homme à garder le secret.

« Je veux bien te faire tous les serments que tu voudras pour t’assurer de ma discrétion. Parle ! comment et en quel nom dois-je jurer ? »

La déesse reprit : — « Jure-moi à la façon du père Abraham, comme il le fit faire à Éliézer, quand celui-ci se mit en voyage pour trouver une femme à Isaac, le fils de son maître.

« Lève ma tunique, pose ta main sur mes hanches, et jure-moi d’être discret et de ne jamais, ni par tes paroles ni par tes écrits, divulguer ce que tu auras vu. »