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Sa pelisse est immaculée et blanche comme la neige ; sa tête est ceinte d’une couronne de diamants qui rayonne à travers les cieux.

Sur sa figure rayonnent l’harmonie et la pensée créatrice. Il fait un geste avec son sceptre, et les sphères résonnent et chantent.

À ses pieds sont assis les ours bienheureux qui ont souffert ici-bas avec humilité et résignation. Ils tiennent dans leurs pattes vénérables les palmes de leur martyre.

Parfois un d’entre eux se lève, un autre le suit ; ils sautent comme si le Saint-Esprit les possédait, et les voilà tous qui dansent le plus solennel des menuets.

Un menuet où l’inspiration de la grâce peut tenir lieu de talent et où l’âme éperdue de joie cherche à sortir de sa peau.

Moi, indigne Atta Troll, jouirai-je un jour de cette béatitude, et, après mes tribulations terrestres, passerai-je dans ce royaume de délices impérissables ?

Ivre de volupté céleste, là-haut sous la tente étoilée, une auréole au front, la palme à la patte, danserai-je aussi devant le trône du Seigneur ?


9

Comme la langue écarlate que le roi nègre de Freiligrath tire dans sa colère hors de ses lèvres noires et épaisses ;

Ainsi la lune rougeâtre sort des sombres et lourds nuages. On entend au loin des cascades, qui ne sommeillent jamais, bruire tristement dans le silence des ténèbres.

Atta Troll est debout au sommet de son rocher favori ; il est seul, seul au bord de l’abîme, et il hurle ces paroles qu’emportent les vents de la nuit :

— Oui, je suis un ours ! je suis ce que vous nommez un ours velu, sauvage, grognon, mal léché, et Dieu sait quoi encore !