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Solitaire, je pleure mes souffrances dans le sein de la nuit amie ; je veux éviter les gens heureux ; là où la joie éclate, je ne saurais rester.

Solitaire, je vois couler mes larmes, couler toujours, couler sans bruit ; mais nulle larme ne saurait éteindre le désir qui consume mon cœur.

Jadis, garçon vif et rieur, j’aimais les beaux amusements. Je jouissais des dons de la vie, j’ignorais tout de la douleur.

Le monde n’était qu’un jardin émaillé de fleurs éclatantes où je consacrais mes jours aux fleurs, roses, violettes et jasmin.

Rêvant doucement sur la verte pelouse, je voyais le petit ruisseau couler paisible ; quand aujourd’hui je me penche sur le ruisselet, j’y vois un visage blême.

Depuis qu’Elle m’est apparue, je suis devenu tout pâle ; la douleur m’a furtivement envahi ; il m’est arrivé une étrange aventure.

Longtemps, dans le fond de mon cœur, j’ai sereinement goûté la paix des anges ; maintenant craintifs et tremblants, les anges ont regagné leur patrie d’étoiles.

La nuit sombre obscurcit ma vue, l’ombre hostile me menace et m’effraie, et dans ma poitrine chuchote en secret une voix étrangère.

Des douleurs, des souffrances inconnues m’assaillent avec une farouche frénésie, et un feu ignoré dévore mes entrailles.

Mais si mon cœur est sans répit la proie des flammes, si je succombe à ma souffrance, bien-aimée, c’est toi qui l’as fait !


12

Chaque compagnon, sa belle à son bras, va et vient dans l’allée des tilleuls ; mais moi, je vais seul, que Dieu ait pitié ! mais moi je vais seul.