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Page:Hello-Les Plateaux de la balance, Perrin, 1923.djvu/225

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individus : c’est Phèdre qu’Euripide va livrer au vautour, comme Eschyle lui a livré Prométhée ; mais Prométhée, c’est l’Humanité, et Phèdre est une femme ; c’est un individu.

Son extrême infériorité vis-à-vis de ses deux prédécesseurs s’expliquerait par cette seule considération : Eschyle et Sophocle répondaient aux pensées grecques. Eschyle répondait aux besoins de la Grèce antique qui prêtait l’oreille aux murmures vagues, aux murmures orientaux ; Sophocle répondait aux besoins de la Grèce plus moderne, de cette Grèce qui oubliait l’Asie, qui perdait la mémoire de Troie, qui se limitait en elle-même, qui concentrait toutes ses forces en elle, pour fonder sa nationalité, et se glorifier d’être la Grèce. Cette Grèce rétrécie appelait Sophocle, et Sophocle était arrivé. Mais la Grèce ne s’est jamais occupée des individus. Aussi Euripide, qui voudrait peindre l’Individu, a eu les mains liées par le système de la Fatalité. La doctrine fataliste est tout aussi fausse chez ses prédécesseurs que chez lui : mais, à côté de leurs erreurs, en dehors d’elles, ses prédécesseurs avaient trouvé place, dans leurs larges conceptions, pour de beaux et amples développements ; cette ampleur, fournie à Eschyle par ses sujets et par sa nature, manque à Euripide : Euripide est livré à son erreur sèche et étroite.

Euripide meurt, comme Phèdre, étouffé par le Destin.