Page:Helvétius - Œuvres complètes d’Helvétius, tome 13.djvu/91

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Le vrai jusques à lui darde en vain sa lumiere ;
La main de l’Ignorance a fermé sa paupiere ;
Il ne la rouvre point aux sublimes accents
Des demi-dieux mortels fameux par leurs talents.
Malheur, vient-il nous dire, à celui que la gloire
Porte à graver son nom au temple de mémoire !
A combien de dégoûts il doit se préparer !
Si je veux être heureux je dois peu desirer.
De ses rameaux touffus alors que la tempête
D’un chêne sourcilleux a dépouillé la tête,
Quelle prise offre-t-il aux coups des ouragans ?
Que peuvent contre lui leurs efforts impuissants ?
Bravant des aquilons la fureur implacable,
Il oppose à leur souffle un tronc inébranlable.
Tel doit être le sage ; et son unique soin
Est d’élaguer en lui les rameaux du besoin :
Peu jaloux des grandeurs de l’aveugle fortune,
Il fuit le vain éclat d’une gloire importune :
Obscurément heureux, on le voit préférer
A l’orgueil d’inventer le plaisir d’admirer.
Vivez, heureux mortels, au sein de la mollesse :
Vous naissez ignorants ; soyez-le par sagesse.
Notre esprit n’est point fait pour pénétrer, pour voir ;
C’est assez s’il apprend qu’il ne peut rien savoir.