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pœuf.

sans trop de zigzags accusateurs, au mépris de l’absinthe et des sergents de garde ; mais, un gouffre ne séparait-il pas cette ivresse inoffensive de l’ivresse qui frappe et qui égorge ?

En tout cas, je ne l’avais pas une seule fois vu soûl, moi. Je lui avais demandé, un jour : — Ah çà ! tu bois donc, Pœuf ? — Il s’était mis à sourire dans sa barbe, après avoir cligné d’un œil ; mais qu’est-ce que cela prouvait ?

Qui savait pourtant si, plus ivre que d’habitude, et oublieux du fameux règlement, lorsqu’il avait rencontré Barrateau, il ne s’était point outré d’une punition trop brutale ?… Qui savait…


Mon père et ma mère se couchant sur l’entrefaite, bavardant, — peut-être allaient-ils parler de Pœuf ? — il me vint à l’idée de surprendre leurs dires. À voix haute, sans s’imaginer que je veillais, ils causèrent de la pluie, du beau temps, de projets futurs, — je les entendais comme s’ils avaient été dans ma chambre ; — ils se lamentèrent sur mon peu d’assiduité au travail, — je me promis de les mieux contenter ! — mais de Pœuf, mais des mobiles de son aventure, il ne fut pas le moins du monde question. Et je pensai : Tiens ! le père qui m’accusait de n’avoir point de cœur ; c’est plutôt lui qui n’en a pas. Il ne songe déjà plus à Pœuf !