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pœuf.

phrase lui jaillissait de la barbe : « C’est le frère et la sœur qui n’se doutent guère, en ce moment ici, que j’sors d’avaler une bonne soupe et que j’boirais bien un bon quart de vin ! » De ses proches, il ne restait que ce frère et cette sœur, dont il faisait ainsi mention. L’un travaillait dans des ardoisières ; l’autre devait s’être mariée ; — Pœuf n’en savait pas plus ! Et il ne les avait pas revus, depuis l’époque déjà lointaine où la conscription l’avait déféré à un régiment d’infanterie de la marine.

— Leur écriras-tu au moins, le jour où tu sauras écrire ? m’étais-je enjoint de lui demander, un après-déjeuner où, par hasard, son exclamation semblait avoir épandu entre nous de rétroactives et mélancoliques pensées.

Il avait secoué la tête, lentement, le pied de profil à terre, l’œil fixé sur la rangée de boutons de ses guêtres, puis il m’avait répondu :

— Bah !… J’vis sans eux… Ils vivent sans moi… On s’est oublié !… C’est-y qu’ça ne va pas tout de même ?

Il y avait bien, derrière le comique de cette réponse, quelque chose d’anormal dont une béate, jeune et, par suite, trop naïve sensibilité aurait pu ne point s’accommoder de prime abord ; mais je connaissais Pœuf : nul n’existait plus enfant, moins compliqué.