Page:Henri IV - Lettres Missives - Tome1.djvu/664

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pourroit pretendre. Par ce moyen nous serons plus asseurez de la vie de ce pauvre gentilhomme, qui la conservera d’aultant mieux avecques sa santé, estant vostre prisonnier, pour vous en rendre service. En cela, Monsieur, vous ferez une œuvre dont toute la France, avec une infinité de gens de bien, et moy principalement, vous aurons trez grande obligation, laquelle je m’efforceray de recognoistre en tout, où que j’auray moyen de vous servir, et dont je vous supplie, Monsieur, faire estat certain avec l’amitié et correspondance que desire

Vostre bien humble cousin, à vous obeir,


HENRY.



1584. — 4 janvier.

Cop. — B. R. Fonds Leydet, Mém. mss. sur Geoffroy de Vivans, p. 85.

[À MONSR DE VIVANS.]

Monsr de Vivans, Je suis bien marry de tant de bruits de remuemens qui se sement et qu’on entend tous les jours. J’attends response de la depesche que j’ay envoyée au Roy, mon seigneur, et le retour de monsr de Believre, esperant que toutes choses s’appaiseront[1] et tendront à la paix, à la confusion de ceulx qui sont ennemis

  1. En effet, après bien des tergiversations, le Roi était sur le point d’en passerpar les conditions que le roi de Navarre exigeait pour reprendre sa femme. Voici une lettre que Henri III écrivit, vers la fin de ce même mois, à M. de Bellièvre. Cette lettre inédite, qui est conservée à la Bibliothèque, dans le manuscrit de Brienne, n° 265, fol. 257 et suiv. fournit des documents importants pour cette partie de l’histoire du roi de Navarre, et complète les renseignements sur les suites de l’affront fait à la reine Marguerite par le Roi son frère.

    LETTRE DU ROY HENRY III


    À MONSIEUR DE BELLIEVRE.


    « Monsr de Bellievre, Vous ne pouviez mieux ny plus dignement accomplir la charge que je vous ay commise, pour le faict de ma sœur la royne de Navarre, que j’ay veu, par vostre lettre du xve de ce mois, que vous avez faict ; ayant si pertinemment respondu à toutes les questions que mon frere le Roy de Navarre vous a aussi faictes, qu’il a fallu qu’il soit venu à une resolution telle que vous m’avez mandée, laquelle j’ay trez bien considerèe. En fin il demande que j’oste les garnisons qui sont à dix lieues de ma ville de Nerac, et qu’il recevra ma dicte sœur, et se remettra avecque elle suivant mon intention ; fondant telle demande sur ce qu’estant le dict Nerac sa principalle demeure, il ne veoit aulcune seureté pour sa personne, demeurant les dictes garnisons. À quoy vous me mandez qu’il a depuis adjousté que, considerant le mescontentement que j’avois de la negociation de Segur, il estime que je le tiens pour criminel de leze-majesté, et partant qu’il avoit d’autant plus à se garder et penser à la conservation de sa vie. Monsr de Bellievre, je vous respondray à cela que, si je pensois que mon dict frere fust en verité meu des crainctes et considerations qu’il met en avant contre les dictes garnisons, je m’efforcerois de le contenter, et passerois dés à present par dessus toutes les raisons qui me retiennent de ce faire, car tant s’en fault que mon intention soit d’attempter à sa personne, que je desire plus que luy-mesme luy oster toute occasion de se deffier de ma bonne volonté. Mais j’ay toutes les raisons du monde de estimer que ce n’est ce qui le meut ; mesme quand je considere qu’il n’est question que des garnisons qui sont dedans les villes de Agen, Condon et Bazas, lesquelles il seait n’estre telles, ni si fortes, qu’elles le doibvent tenir en craincte, estant en ce païs-là fort et respecté comme il est. Ce n’est d’aujourd’huy qu’il a esté mis à Agen une compaignie de gens de pied, telle qu’elle y est à present ; car, quand la chambre de justice y a residé, elle a esté entretenue par son advis, et n’a faict mal ni deplaisir à personne. Les cinquante soldats de Bazas n’ont esté pareillement que pour empescher que le Casse ne s’en resaisit ; et quant à la compaignie qui est à Condon, je suis certain qu’il n’en a telle jalousie qu’il demonstre, non plus que du doubte qu’il dict avoir, d’estre tenu pour criminel de leze-majesté. De sorte que ses raisons recherchées et basties sur fondemens si foibles, au lieu de me contenter d’y condescendre à lever les dictes garnisons, seront plus tost suffisantes à me jeter moy-mesme en deffiance de la volonté de mon dict frere, quand bien je n’en aurois aulcune aultre occasion que celle-là ; car il semble qu’il ne les ait proposées que pour parvenir aux mesmes fins pour lesquelles il feit dilliculté, à vostre arrivée devers luy, de vous ouïr. qu’elles n’eussent esté ostées ; lesquelles, partant, la remonstrance et responce que vous luy avez faicte sur ce propos m’a esté trez agreable. Il dit qu’il reverra ma dicte sœur si tost que les dictes garnisons seront sorties des dictes villes. Quelle asseurance ay-je qu’il y satisfera, ni, quand elles seront sorties, que le Casse ne s’empare de Bazas, ou que luy-mesme ne s’y achemine en personne pour s’en rendre maistre ? Il se sera saisy du Mont-Marsan, où il aura remparé le chasteau, establi bonne garde, et destruict les habitans catholiques ; il en aura aultant faict à Tartas, se saisira encore de Bazas et peut-estre de Condon, où j’entends que les choses sont en trez mauvais estat ; puis aprés il ne reverra, si bon luy semble, ma dicte sœur.
    Toutes ces considerations, joinctes aux justes occasions que j’ay de me deffier de luy et des praticques et menées qui se font pour troubler mon royaume, m’admonestent de perseverer en mon premier propos, et vouloir devant toute aultre chose que mon dict frere revoye ma dicte sœur, et la reçoive auprés de luy, comme la raison veult qu’il face. Cela faict, je suis content traicter et convenir avecque luy de la sortie des dictes garnisons, et de l’entiere execution de mes edicts de paix, ainsi que je vous ay escript et luy avez offert de ma part. Partant, je vous prie susciter en ce premier poinct,qu’il me contente.
    Toutesfois s’il s’obstine à ne le vouloir, je desire tant me mettre à la raison et obvier à toute altercation, que je suis content luy accorder de tirer d’Agen et de Condon les deux compaignies qui y ont esté mises, et les esloigner de Nerac, pourveu qu’en mesme temps ma dicte sœur parte de celle d’Agen pour aller trouver le dict roy, son mary, et qu’il consente que je retienne seulement les cinquante soldats qui sont dedans Bazas, pour la seureté d’icelle, en attendant que nous soyons tombez d’accord des poincts qui sont à vuider pour l’execution entiere de nostre dict edict, chose que mon dict frere ne doibt refuser, si tant est que la seule consideration de la seureté de sa personne et demeure à Nerac, comme il dit, le meut à requerir la sortie des dictes garnisons, ainsy qu’il vous a dict. Car les dictz cinquante soldats ne luy debvront donner ombrage.
    Monsr de Bellievre, ce sera la response que je feray au sieur de Clervant, de laquelle j’ay advisé vous advertir par ce porteur, afin que vous en conferiez avecques mon cousin le mareschal de Matignon, et advisiez ensemble, en cas que mon dict frere condescende à ceste derniere ouverture, à pourveoir tellement à la seureté des dictes villes de Agen et Condon, qu’il n’en mesadvienne quand les dictes compagnies en seront dehors, comme il me semble qu’il sera facile de faire, s’estans les habitans montrés jusques à present trez affectionnez à mon service, et faisant que le sr de Bajaumont et quelques aultres personnaiges fidelles resident en la dicte ville pour quelque temps. Mais je vous prie ne partir de Bourdeaux pour vous en revenir, que mon dict frere le Roy de Navarre ne vous ait encores esclaircy de son intention sur les dictes dernieres propositions et vous sur sa response, et entendu la mienne, laquelle je vous feray sçavoir incontinent. Seulement vous adviserez s’il sera à propos que vous le retourniez trouver pour la luy desclarer, ou si vous vous contenterez de la luy escrire, sans attendre le retour du dict sr de Clervant, dont je me remets à vostre meilleur advis.
    Je ne doubte pas que les bruicts qui courent par delà du voyage qu’y doibt faire Fervacques, et les recherches d’amitié et union que l’on dict estre faictes et proposées à mon dict frere le Roy de Navarre, de la part de mon frere, ne luy haussent le cœur, et ne le rendent plus malaisé à contenter. Mais oultre que je ne puis ni veulx croire que mon dict frere se separe d’avecques moy, en la poursuicte du faict qui concerne ma dicte sœur, qui ne luy touche moings qu’à moy, ny qu’il favorise ceulx qui vouldroient troubler mon royaume, je vous asseure que telles menées ni la craincte du succés d’icelles ne me feront jamais faire chose qui soit contre mon honneur, ni contre le bien de mon service et de mes bons subjects. Et me suffira de le prevenir, et obvier par les meilleurs et plus justes moyens dont je me pourray adviser, affin de fortifier tousjours mes actions du droict et de la raison, tant qu’il me sera possible ; pourvoyant au reste à mes affaires avecques mesme soing et diligence, suivant le bon advis que vous me donnez par vostre dicte lettre. À tant ay-je respondu suffisamment au contenu d’icelle. ..... Escript à ..... le ...... jour de janvier mil cinq cent quatre vingt-quatre.

    HENRY. »