Page:Henry - Les Littératures de l’Inde.djvu/60

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écrasant sous ses lourdes roues, non seulement ses dévots, martyrs volontaires, mais tous les autres dieux, dont l’abstraction poussée à l’outrance ne laissera plus subsister que les noms vidés de leur sens.


2. — Le style brâhmanique


Sauf dans leurs rares parties narratives, les Brâhmanas n’offrent presque rien de littéraire. Mais les Hindous, à tous les moments de leur histoire, ont su joliment conter en prose, et peut-être ne verra-t-on pas sans plaisir ce qu’est devenue sous leur plume l’universelle légende du déluge.

Voici qu’à Manu on apporta de l’eau pour l’ablution du matin ; sur ces entrefaites, et tandis qu’il se lavait, un poisson lui vint dans les mains. Le poisson lui dit : « Élève-moi, je te sauverai. — De quoi me sauveras-tu ? — Il viendra un grand flot, qui balaiera tous les êtres : de ce flot je te sauverai. — Mais comment t’élever ? — Tant que nous sommes fretin », dit le poisson, « nous n’avons que peu de chances de vie, car les poissons se mangent entre eux. Nourris-moi d’abord dans un vase ; quand je serai devenu trop grand pour ce vase, tu creuseras une fosse et tu m’y élèveras ; quand je serai devenu trop grand pour la fosse, tu me porteras à la mer : je serai alors à l’abri de tous risques. » Car c’était un de ces poissons qui deviennent de vrais