Page:Hetzel - Le Diable a Paris - tome 1 (1845).djvu/83

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hommes tout noirs et tout d’une pièce, des artistes qui s’évertuaient à faire de l’effet sur des gens qui faisaient semblant d’être émus, des fleurs qui avaient l’air de souffrir et de pleurer dans cette atmosphère âcre et chaude ; j’ai trouvé de nobles amphitryons, de belles femmes, des hommes de talent, des œuvres d’art, des arrangements d’un goût recherché dans les décors, dans la musique, dans les choses et dans les personnes ; mais je n’ai trouvé ni poésie élevée, ni inspiration véritable, ni politesse partant du cœur, ni bienveillance générale, ni sympathies partagées, ni échange d’idées et de sentiments ; pas de lien commun entre tous ces êtres, pas d’abandon, pas de grâce, pas de pudeur, et encore moins de sincérité. Voilà ce que j’ai vu avec les yeux et entendu avec les oreilles, et mon cœur s’est retiré en moi tout contristé et tout épouvanté ; car le son de ces instruments n’empêchait pas le cri de la détresse, et le râle de l’agonie du peuple de monter jusqu’à moi. Et je me demandais, en regardant ces riches décorations, ces tables et ces buffets, ce que le fournisseur avait volé au consommateur et au producteur pour produire toutes ces merveilles ; et il me semblait voir mêlés ensemble dans une sorte de cave, située sous les pieds des danseurs, les cadavres des riches qui se brûlent la cervelle après s’être ruinés, et ceux des prolétaires qui sont morts de faim à la peine d’amuser ces riches en démence.

Et je rentrai dans ma chambre silencieuse et sombre, et je me demandai pourquoi, comme tant d’autres artistes insensés, qui croient s’assurer une méditation paisible, un travail facile et agréable, et donner une couleur poétique à leurs rêves, en faisant quelques frais d’imagination et de goût pour enjoliver modestement leur demeure, j’avais eu quelque souci moi-même de me clore contre le froid, contre le bruit, et de placer sous mes yeux quelques objets d’art, types de beauté ou gages d’affection. Et je me répondis que je ne valais donc pas mieux que tant d’autres, qu’il était donc bien plus facile de dire le mal que de faire le bien. Et j’eus une telle horreur de moi-même, en pensant que d’autres avaient à peine un sac de paille pour se réchauffer entre quatre murs nus et glacés, que j’eus envie de sortir de chez moi pour n’y jamais rentrer. Et s’il y avait eu, comme au temps du Christ, des pauvres préparés à la doctrine du Christ, j’aurais été converser et prier avec eux sur le pavé du bon Dieu. Mais il n’y a même plus de