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« Cinquante écus, je vous jure bien, Monseigneur, que si j’avais vu la bavette d’un de ces petits oiseaux, et même, comme vous dites, si j’y étais pour quelque chose, je vous le dirais, allez, et sans barguigner. Je vois bien que vous êtes un bon gentilhomme. »

Et il ajouta en tendant son bonnet :

« À votre générosité ! »

Le chevalier jeta une pistole dans le bonnet. Le géant s’effondra sous cette fortune.

« Cherchez si vous voulez, dit le chevalier en se rejetant en selle, je suis le chevalier de Valjacquelein. »

Et il piqua des deux, poussant son cheval sans raison pour son retour afin de donner un dérivatif à son navrement profond.

Les Kornik passèrent deux jours à Penhoël ou aux environs, cherchant, interrogeant çà et là sans aucun succès. Dame Kornik pleura toute la journée dans la cuisine du château, puis, elle, son mari et son fils remontèrent dans le char à bœufs et retournèrent à leur village, assez effrayés en pensant à ce qu’ils répondraient quand on viendrait leur réclamer la petite fille à eux confiée.

Le deuil retomba sur le château, le deuil inactif, le deuil sans presque d’attente ni de vague espoir. Grande Manon se cachait des deux autres pour pleurer, et la conviction intime de tous était que la mer, qui en a emporté tant d’autres, avait pris encore ces deux enfants et gardait même leurs petits corps.

Pendant que se faisait tout ce remue-ménage au-dessus de leurs têtes, sur la surface de la terre, les deux enfants, au-dessous, continuaient à vivre.

Au moment où Manette avait touché le sol au fond de la grotte et s’était retournée toute riante pour dire : « Na, moi aussi, je suis en prison », elle vit à son nouveau compagnon un visage si bouleversé, que la peur la gagna du coup. Toutefois, c’était de lui qu’elle avait peur ; elle ne se rendait pas encore compte de son malheur. Elle comprit vite, car, aussitôt elle leva les mains vers le soupirail pour remonter et s’en aller, et constata qu’elle ne pouvait pas.

« Je veux m’en aller !… je veux m’en aller !…

— C’est impossible, dit tristement Yvonnaïk. C’est trop haut. Moi, qui suis plus grand que vous, je n’ai pas pu.

— Je veux m’en aller ! » cria plus fort Manette en pleurant.

Yves fut pris de pitié. Il ouvrait la bouche pour dire : « Nous sommes dans un trou. Nous n’en sortirons pas. » Il se retint. Il essaya au contraire, de la consoler, de la rassurer.

« Nos papas viendront nous chercher tout à l’heure, ne pleurez pas, petite fille, il n’y a pas de danger. »

Manette le regarda à travers ses larmes. Lui, sourit :

« Alors, c’est pour jouer ?

— C’est pour jouer, et ce n’est pas pour jouer », fit Yves distrait par une pensée.

Il se disait qu’en effet, bien que ce ne fût nullement certain, la disparition d’un second enfant allait provoquer de nouvelles recherches et que, cette fois, on devait avoir des indications sur le lieu où l’on avait perdu de vue une petite fille si jeune. Il fallait qu’il y eût du monde aux environs.

« Avec qui êtes-vous ? demanda-t-il à Manette. Qui est-ce qui est venu avec vous, en haut ?

— Avec dame Kornik et son mari, et Jehan Kornik, et les bœufs, lui répondit Manette.

— Les bœufs ? fit Yves surpris, quels bœufs ? On les a amenés pour manger de l’herbe ?

— Non, ils mangent du foin.

— Mais pourquoi avez-vous amené des bœufs ?

— Pour traîner la voiture et venir au Pardon. Où est mon bouquet ? »

Et elle se pencha pour le ramasser.

Ce mot de Pardon (il avait complètement oublié ce Pardon où il comptait tant s’amuser), augmenta l’espérance d’Yves. Il connaissait cette fête annuelle. Il eut la vision de ce qui se passait sur la grève, de toute la foule répan-