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même un chemin frayé que prenaient nécessairement tous ceux qui, pour un motif quelconque, allaient du village sur la partie droite de la grève, au bord de la mer.

Il se présentait là une possibilité de salut sérieuse et pratique, surtout si l’objet lancé ne restait pas suspendu à quelque saillie de la roche, au lieu de tomber jusqu’au bas. Mais, d’éviter ce danger, Yves se croyait sûr. En s’orientant, par rapport à l’entrée, il voyait très bien par la pensée l’extérieur de la falaise où devait se trouver le trou qu’il venait de pratiquer. Là, le mur de roches était aussi à pic qu’une muraille. C’était même un mur épais qui se continuait pendant plusieurs centaines de mètres comme si la roche eût été autrefois coupée par un formidable coup de hache de quelque géant.

Il fallait agir sans perdre un instant.

Mais que lancer au dehors ? Écrire ? Bien entendu, il fallait écrire, et, pour cela, Yves avait, heureusement, dans sa poche, deux ou trois feuilles à dessin de petit format, qui lui servaient pour ses croquis de paysages et de marines, ou quand il faisait poser, — avec quelle gravité ! — quelqu’un de ses très féaux sujets, les gamins de Penhoël. Il sortit ces précieuses feuilles et, subitement, une pensée lancinante le remplit de stupeur : il n’avait pas son crayon !

Il se rappelait très bien qu’au moment où il avait emmagasiné dans ses poches sa provision de gâteaux, il avait enlevé ce crayon, qui ne le quittait d’ordinaire jamais ! Il voyait en souvenir, dans la chambre de maman Manon, le coin de table où il avait déposé par malheur le crayon et des hameçons, une ligne, dont il jugeait n’avoir pas besoin pour l’expédition dans la grotte qu’il était si joyeux d’avoir découverte.

Il se fouilla et constata que son souvenir n’était que trop précis : point de crayon !

L’émotion d’un pareil désastre, de ce surcroît de fatalité étreignit l’enfant, au point qu’il sentait ses tempes serrées et son cœur qui battait à coups précipités… Allons ! encore de l’espoir perdu !

Il discuta en lui-même tout ce que, sans écrire, il pouvait jeter par le trou pour révéler sa présence, son existence, son danger. Son chapeau, une partie de ses vêtements ? Mais la première réflexion lui démontra que cette trouvaille, faite par quelqu’un et portée au château, signifierait plutôt qu’il était noyé, que l’objet avait été rapporté par les flots et avait séché au soleil. Puis, eût-on supposé le contraire en trouvant son chapeau ou sa veste, ce n’aurait pas été un motif pour songer à le chercher dans une retraite juchée au haut de la roche, dans cette cave ignorée de tous. Le vêtement n’aurait fourni aucune indication sur ce point… Écrire ! Il aurait fallu écrire, joindre des mots pour remplacer sa parole, expliquer l’existence de la grotte du haut de la falaise.

Il n’avait jamais compris à ce point, jusque-là, quelle merveilleuse et puissante chose est l’écriture. Oh ! pour posséder le moyen d’écrire, pour un bout de crayon, il eût donné à présent sans regret un bras ou une jambe… S’il écrivait avec son ongle ? Il s’était amusé quelquefois à essayer… S’il avait une plume ! Il avait entendu raconter par son grand-père une histoire célèbre de prisonnier qui correspondait en se servant d’une goutte de son sang comme encre !… À défaut d’une plume, une épingle. Il n’avait pas même une épingle… La petite fille ! Elle devait en avoir sur elle des épingles !

Yvon se précipita vers la dormeuse. Avec joie, il vit à son petit manteau une épingle à tête d’or, qu’il tira et serra dans sa main comme un objet infiniment précieux.

Oh ! que ses yeux brillaient ! La délivrance était possible maintenant. Combien il est bon d’essayer quelque chose et d’espérer en ce qu’on essaye, quand on a longtemps désespéré de tout !