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JULES VERNE

tions de l’Alert qui devrait les reconduire — une embarcation montée par deux ou trois des hommes d’Harry Markel.

Eh bien, n’était-il pas à craindre que les constables, ayant inutilement fouillé les tavernes du quartier, ne continuassent leurs recherches dans les rues et sur les quais ?… Que l’un des fugitifs fut reconnu, tout serait découvert… Une chaloupe à vapeur se rendrait immédiatement dans l’anse Farmar avec une escouade de police, les agents reprendraient possession de l’Alert, et toute la bande retomberait entre leurs mains…

Aussi, quand les passagers seraient à bord, on ne leur permettrait plus de débarquer, dût le retard se prolonger pendant quelques jours, et d’ailleurs, dès la nuit prochaine, qui sait si Harry Markel ne parviendrait pas à se débarrasser d’eux comme il s’était débarrassé du capitaine Paxton et de son équipage ?…

Harry Markel fit alors les dernières recommandations. Ses compagnons ne devaient pas l’oublier : ils n’étaient plus les gens de l’Halifax, les échappés de la prison de Queenstown… Ils étaient les matelots de l’Alert, pour cette journée tout au moins. Ils auraient à se surveiller, à ne pas prononcer une parole imprudente, à prendre l’allure d’honnêtes marins, à « avoir de la tenue », comme le dit John Carpenter, à faire honneur à cette généreuse Mrs kethlen Seymour !… Tous comprirent bien le rôle qu’ils avaient à jouer.

En attendant, et jusqu’au moment où l’embarcation serait repartie, ordre leur fut donné de ne se montrer que le moins possible… Ils resteraient dans le poste… Le maître d’équipage et Corty suffiraient à l’embarquement des bagages, à l’installation des passagers. Quant au déjeuner, la table serait servie dans le carré, — un bon déjeuner dont la cambuse-de l’Alert fournirait le menu. C’était l’affaire de Ranyah Cogh, et il se proposait d’étonner par ses talents culinaires.

Le moment était venu d’opérer ainsi que l’eussent fait le capitaine Paxton et son équipage. Le canot n’était plus qu’à quelques toises, et, comme il ne fallait pas que personne ne fût là pour recevoir les passagers, Harry Markel s’avança vers l’échelle de tribord.

Il va sans dire qu’il avait revêtu l’uniforme de l’infortuné capitaine, et que tous ses compagnons portaient les habits trouvés dans le poste.

L’Alert fut alors hélé par les marins de l’embarcation, et Corty envoya une amarre, qui fut attrapée avec la gaffe, puis tournée à Pavant.

Tony Renault et Magnus Anders, se hissant les premiers par l’échelle de corde, sautèrent sur le pont. Leurs camarades les suivirent. Puis ce fut le tour de M. Horatio Patterson, que John Carpenter aida très obligeamment à franchir la coupée.

On s’occupa aussitôt de transporter les bagages, simples valises peu lourdes et peu encombrantes, — affaire de quelques instants.

Les marins du canot ne montèrent donc pas à bord. Réglés d’avance par M. Patterson et gratifiés d’un bon pourboire, ils débordèrent et reprirent la direction du port.

En ce moment, M. Horatio Patterson, toujours correct, s’inclina, disant :

« Le capitaine Paxton ?…

— C’est moi, monsieur », répondit Harry Markel.

M. Patterson fit un second salut empreint d’une exquise politesse, et ajouta :

« Capitaine Paxton, j’ai l’honneur de vous présenter les pensionnaires d’Antilian School, et de vous offrir l’assurance de ma parfaite considération et de mes plus respectueux hommages…

— Signé Horatio Patterson », murmura à l’oreille de Louis Clodion ce loustic de Tony Renault, qui salua avec tous ses camarades le capitaine de l’Alert.

Jules Verne.

(La suite prochainement.)