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qui facilite le transbordement : rien de plus simple.

— Comment s’appellent ces enfants ? Tu le sais ? »

Tout en interrogeant, son regard scrutait les deux visages, analysait chaque trait.

Eux contemplaient, ahuris, cette grand’mère si différente de ce qu’ils imaginaient.

Le mot « grand », ils l’avaient appliqué à la hauteur… et ils avaient devant eux une femme toute petite, ridée, presque plus vivante.

« Elle est pas grand et elle est vieux, murmura Lilou désappointé, en tirant Claire par sa robe.

— Ça ne l’empêche pas d’être très bonne et sa tarte aussi, fit la jeune fille en riant. Dites-lui bonjour.

— Bonjour, mère-vieux de Claire, prononça Lilou en venant mettre sa menotte dans la main que lui tendait l’aïeule.

— Bonzour, répéta Pompon. Où qu’elle est, la grosse tarte ?

— Dis-moi ton nom d’abord, articula Mme Andelot.

— Ze m’appelle Pompon, et mon…

— Je te les laisse, interrompit Claire. Je cours à la cuisine m’assurer que le déjeuner se prépare.

— Va, mon enfant. »

Ces mots, grand’mère les prononça d’une voix joyeuse. Son regard suivit, impatient, la course rapide de la jeune fille jusqu’au seuil, et un soupir d’allégement monta à ses lèvres, quand la porte se fut refermée sur elle.

P. Perrault.

(La suite prochainement.)


LA PREMIÈRE CULOTTE

Elle était vraiment fort jolie cette première culotte, et la maman de Jacques l’avait fait confectionner sous ses yeux avec un soin tout particulier.

Elle était de velours gris, un joli velours côtelé, doux au toucher comme le pelage d’un petit chat, et pourvue de deux grandes poches qui faisaient le bonheur du marmot.

Une fois le petit homme habillé, la culotte disparaissait presque entièrement sous une longue blouse de même velours, cependant on la devinait.

La blouse gênait Jacques pour fouiller dans ses poches, mais elle était ornée d’une si belle ceinture et d’un col de toile si bien empesé que l’enfant supportait sans trop d’ennui ce léger inconvénient.

(En était-il assez fier de son costume !…)

Les bonnes riaient de lui en disant qu’il ressemblait à un singe habillé.

Le fait est que à trois ans, Jacques était un gros bébé joufflu, aux énormes mollets et au ventre rebondi, ce qui n’allait guère avec cette toilette ; il n’en avait cure, et, appuyé sur la canne minuscule que son grand-père venait de lui offrir, redressant sa tête coiffée d’un béret orné d’une plume d’oie du plus bizarre effet, il était aussi fier que possible. Je n’oublierai jamais de quel air dédaigneux il nous accueillit, nous autres fillettes, ses habituelles compagnes de jeux. J’entends encore sa voix de marmot et le zézaiement dont, malgré ses efforts, il n’arrivait pas à se débarrasser :

« Ze ne zoue plus avec les petites filles maintenant ; ze suis un homme ! » et il se rengorgeait ; et il cambrait sa taille, sans souci de nos éclats de rire et de nos moqueries. L’une de nous alla jusqu’à dire qu’il avait l’air du gros dindon de la ferme, but de notre promenade ce jour-là.

On partit : nous, courant d’un côté à l’autre du chemin, cueillant les fleurs des champs,