Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/165

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mait au plus haut prix, ce dont il attendait, dans le secret de son âme, le salut, c’était ce bout de corde trouvé autour de la caisse à sucre.

Il le ramassa et l’examina. Par malheur, cette caisse si lourde, remplie de cassonade, n’était pas d’un volume considérable. Tous les nœuds défaits, la corde n’avait guère qu’une fois et demie la longueur du corps du petit garçon. Yvon leva la tête et mesura une fois de plus du regard la hauteur du puits d’entrée. Sans bruit, il transporta la plus large des quatre caisses sous l’ouverture d’entrée, contre la roche, et plaça les trois autres empilées par-dessus. La corde sous le bras, il monta avec précaution sur cet échafaudage, le cœur battant. La tête de l’enfant atteignait ainsi à la moitié juste de la hauteur du puits. Il ne fallait pas songer à s’élever davantage à l’aide seulement des mains et des jambes. Nulle aspérité ne se prêtait à l’ascension. Yves fit au bout de la corde une boucle et, tenant bien serrée l’autre extrémité, il lança cette corde au-dessus de sa tête, espérant qu’elle trouverait à s’accrocher quelque part. Mais, hélas ! la boucle qui avait diminué la corde d’autant qu’il fallait pour la former, dépassa à peine l’orifice extérieur du puits et retomba dans l’intérieur. Aucune saillie de roc n’était visible, où cette boucle pût s’accrocher. Chaque fois que Yves lançait son lasso, la corde retombait piteusement. De guerre lasse, il interrompit cet exercice inutile. Il redescendit sans désespérer encore de ce moyen de salut, mais si harassé de tout le travail qu’il avait fourni, qu’il n’en pouvait plus. Pour continuer son évasion, pour l’exécuter, il fallait du repos, aussi bien à son esprit, qu’à son corps à bout de forces. Il résolut de s’accorder un peu de sommeil. Toutefois, ne voulant négliger aucune des chances de délivrance qui s’offraient, il voulut, avant de s’endormir, lancer son second billet sur la falaise. Il déchira, après une légère échancrure faite au couteau, un très large pan de soie rouge, d’étoffe somptueuse qui ne pouvait manquer d’attirer immédiatement toute personne passant sur la grève. Il défit la poupée-perroquet de Manette, ouvrit le médaillon et glissa son billet auprès des cheveux, sous le couvercle d’or. Et quand il eut fait de la soie un épais tampon, tout autour de cette étrange et précieuse boîte aux lettres, il la lança vigoureusement par la lucarne dans l’espace. Il s’endormit aussitôt, tout souriant d’espérance prochaine.

À ce moment-là même, le chevalier galopait sur la route de Quimper, suivi de Chalin, également à cheval. À la suite de la première explosion de joie larmoyante que l’on sait, au reçu du bouquet, quand le recteur avait apporté de l’écriture de l’enfant chéri, cette chose qui prouvait que Yves existait quelque part, des doutes cruels avaient assailli la famille. Que voulait dire cette missive dont la mer avait si malencontreusement effacé la majeure partie ? Où Yvon pouvait-il être ? Pourquoi écrivait-il au lieu de revenir ? Pourquoi ce bouquet ? Avec qui, auprès de qui, l’enfant avait-il pu partir ? Autant de questions insolubles. On ne pouvait penser qu’il fût retenu par quelqu’un ! Et cependant… Fallait-il croire (et le chevalier était partisan de cette opinion, à l’encontre de Manon), fallait-il croire que la menace de la pension, de la séparation l’avait incité à s’éloigner et à demander l’hospitalité à une famille quelconque, habitant plus ou moins loin de Penhoël ? Ce devait être cela, affirmait le père. La grande Manon branlait tristement la tête.

« Yvonnaïk ne nous a pas quittés de son plein gré, disait-elle ; il ne se serait pas séparé de nous pour éviter d’en être séparé par votre volonté, mon père. Yvonnaïk n’aurait jamais fait cela. S’il s’y était laissé entraîner, il serait revenu bien vite le lendemain.